Jean-Luc Baraton

14 juillet 1982, 17h et des poussières : après « It’s good to be the king » de Mel Brooks (qui débutait par un extrait de la Marseillaise - j’avais trouvé très intelligent de commencer l’antenne un 14 juillet par la Marseillaise !), c’est mon premier micro à l’antenne de Royan Fréquence. Un truc sans doute palpitant du genre : « Salut, c’est Jean-Luc avec vous jusqu’à 18h ». Aussitôt je vois arriver Alain Péricaud, Philippe Tranchet et d’autres qui se trouvaient à côté et qui me lancent : « Ne parle surtout pas ! ».

Voilà pour mes débuts radiophoniques. Encore que...

J’ai découvert Royan Fréquence dés la fin de 1981, lassé que j’étais de la qualité plus que médiocre et des grandes ondes et du hit parade de Jean-Lou Laffont sur Europe 1 qui commençait à ne plus être à mon goût. Le hit parade de Royan Fréquence était tout autre avec des titres qu’on entendait nulle part ailleurs. Les Gogo’s y étaient numéro 1 avec Our lips are sealed bientôt remplacés en tête du hit par Voices in silence de Jo Lemaire + Flouze. Dans le paysage radiophonique, comme dans mon univers musical, inutile de dire que cela était un choc.

Et puis Royan Fréquence avait des jeux. Comme Europe 1. A la différence près que le standard de RF était beaucoup plus accessible. Quand on a 12 ans, qu’on appelle de la cabine téléphonique du coin de la rue, parce qu’à la maison, le téléphone était régulièrement coupé, ça compte. Bientôt ce sont mes appels qui ont compté ; auditeur assidu, j’étais aussi le gagnant de très, et bientôt de trop nombreux jeux. Il faut ajouter à cela une émission qui eut un temps sur RF et au cours de laquelle les auditeurs dans les studios ou au téléphone donnaient leur avis sur les nouveautés qui arrivaient à la radio. Au printemps 82, après les cours, je n’avais qu’une idée en tête : me précipiter dans les studios et donner mon avis. Je crois qu’Olivier Renneteau, animateur de l’émission, en eut ras le bol de m’y voir en « invité » constant. Entre ça et les cadeaux, Philippe Tranchet se dit sans doute qu’il valait mieux m’avoir comme animateur que comme auditeur et me proposa une émission hebdomadaire. J’avais 13 ans et je devenais le plus jeune animateur de la station, un titre qui me fut volé par ma soeur un an plus tard lorsqu’à 12 ans, elle devint la plus jeune animatrice de la station avec Mousse au chocolat qui n’eut droit qu’à une poignée de numéros, Carole étant alors plus occupée par ses copines que par la radio.

Moi, mes copains, c’était la radio. Mes plus beaux souvenirs de radio sont en effet des souvenirs d’amitié : Nathalie Roxane Pain, Thierry David Guillet, Olivier Virassamy, Nathalie Bouyssès, Marylou et François Jean Richet et les autres... Ce qui ressort réellement de ces années de radio, c’est effectivement un esprit de groupe qu’il serait difficile de retranscrire ici ; il fallait le vivre, même si ça fait un peu (déjà !) vieux con de dire des trucs comme ça. La radio, ce n’était pas seulement celle qu’on faisait mais un réel état d’esprit qui nous faisait nous rassembler à l’occasion de sorties en boite, bouffe, discussions et parfois donc, d’émissions de radio.

A la rentrée 82, j’eus une émission quotidienne entre 20h et 21h que je baptisais Cours du Soir en rapport, bien sûr, avec mes activités diurnes. Au départ, je n’avais pas vraiment de ligne directrice, trop occupé que j’étais à me forger mes propres goûts musicaux. Ces Cours du Soir, c’étaient plutôt les miens, à fouiller dans la discothèque et dans les arrivées de disques, ce qui me plaisait ou non. Il y eut assez vite un « Disque de la Semaine », le premier de ceux là étant une reprise de Where have all the flowers gone ? (chantée en son temps par Marlene Dietrich entre autres, ce que je ne savais pas encore) par une dénommée Yvonne Heim qui avait pour particularité un tapis synthétique qui passait successivement sur canal gauche puis le canal droit. Les synthés en stéréo ; sans le savoir, j’avais trouvé mon créneau.

Car ce qui différenciait l’émission des uns de celles des autres, c’étaient surtout la programmation musicale construite autour des goûts des uns et des autres. Nous étions plutôt complémentaires et du coup, quand les nouveautés arrivaient à la radio, elles se répartissaient sans mal dans telle ou telle émission. Springsteen, c’était pour Christian, Jesus and Mary Chain pour Patou J et Eurythmics, plutôt pour moi.

Evidemment, la musique des autres, c’était de la merde et il n’y avait que dans nos émissions respectives qu’on passait de la « bonne musique ». Tout cela étant sujet à de nombreux débats à la suite desquels, évidemment, nous campions tous sur nos positions, mais aussi de mémorables Blind Test chez Patou J notamment.

Au fur et à mesure des années et des émissions (hebdomadaires ou quotidiennes, ça dépendait de mes activités au collège puis au lycée), la programmation de l’émission s’est orientée vers la pop britannique au sens large : Euryhtmics donc, mais aussi Tears For Fears, Prefab Sprout, Carmel, Everything But The Girl, Cocteau Twins... Nourri par les arrivées de disques à la radio ou mes achats à la Discothèque à Royan, mes émissions ont aussi bénéficié un temps du concours de René dit Rodney qui enregistrait pour moi des titres dans l’émission de Bernard Lenoir sur Inter en FM et venait ensuite me les confier. Chaque année, j’allais voir ma soeur en Angleterre et j’en ramenais aussi des disques que j’étais tout fier de passer avant les autres.

Il y avait ceux qu’on passait avant les autres donc et ceux que nous étions les seuls à passer. Contrairement à la programmation très structurée des radios aujourd’hui, celle de l’époque était liée à des coups de coeur qui n’avaient rien à voir avec le commerce. Nous n’hésitions pas à programmer des titres extraits des albums même si ce n’était pas des singles. Je me rappelle ainsi la programmation non stop sur l’antenne, bientôt relayée dans les boites de la région, du titre d’un jeune groupe dont le single était Don’t forget the nite mais auquel nous avions préféré Marcia Baila : les Rita Mitsouko. Je crois pouvoir dire sans me tromper qu’on a entendu Marcia à Royan un an avant la lame de fond qui a suivi dans la France entière.

Entendu également partout à Royan et sur Royan Fréquence en particulier : Adieu Paris des Fils de Joie, un groupe toulousain qui fut programmé des années durant au New Rancho, tout comme le fut aussi The The avec Perfect qui fut un de mes premiers disques de la semaine. Les connexions entre la radio et les boites de nuit de la région étaient nombreuses et allaient de soit puisque la plupart des animateurs de la radio était DJ dans une boite ou inversement. C’est ainsi qu’après avoir succédé une année durant à Alain Péricaud à l’antenne (il animait le 19/20), celui ci me proposa de l’épauler aux platines de la Grange. Je m’y suis plus occupé des lumières que d’autre chose mais c’est là, avec Alain, que j’ai appris le métier de DJ que je fis par la suite avec Boule aux Pirates, mais aussi dans la plupart des boites de la région selon les saisons.

Il y eut le challenge 12 / 16 (1) qui fit s’affronter des classes de lycéens et collégiens dans tout le département. Grand souvenir puisque ma classe fit la finale à Saintes où je fus responsable de la défaite n’arrivant pas à me souvenir quel chanteur n’avait pas participé aux Chanteurs pour l’Ethiopie. A la clé, il y avait (offert par le Credit Agricole alors partenaire) un voyage à New York à gagner d’où le refrain de la chanson générique qui devait faire : « Challenge 12/16, j’ai mon deal pour le voyage, Challenge 12/16, en partance sur ma radio locale ». Aux dernières nouvelles, la classe gagnante n’est toujours pas partie ...(2)

Il y eut aussi les championnats du monde de bille sur sable où j’eus, une année, le très pompeux titre de « traceur officiel » de circuits, ce qui me valut de tracer un circuit à Paris au forum des Halles où nous nous étions installé. Tout simplement parce que ceux qui occupaient le poste avant moi avaient fini pour une raison ou une autre à s’engueuler avec Tranchet (le seul, finalement, qu’on appelait plus par son nom que par son prénom).

Tout le monde ou presque a quitté la radio après s’être engueulé avec Philippe. Moi même je suis parti sur une engueulade dont je ne me rappelle plus aujourd’hui les tenants, les aboutissants allant de soi : mon départ à l’été 87. Il n’empêche : la graine était semée puisque si j’avais décidé de continuer mes études après le bac, j’avais aussi décidé de continuer la radio ce qui me fit entamer des études de journalisme.

Après l’obtention de mon diplôme, je suis revenu à l’animation avec des émissions dans des locales de Radio France où je suis encore aujourd’hui. Et évidemment ça n’a rien à voir avec l’époque de RF96. Il faut dire que cette époque, c’est toute mon adolescence, un temps dont on se souvient toujours avec nostalgie.

Du coup, à l’heure du revival 80’s, musique et radio, vous l’aurez compris, se confondant joyeusement dans mes souvenirs, je suis toujours dans les brocantes à la recherche de disques que je programmais à l’époque. J’ai ainsi remis récemment la main, tremblant, sur un album de New Musik que j’ai recherché durant une quinzaine d’années avec le titre Warp, un des tubes du hit de RF en 82 et qui faisait « I got the feeling / I got the feeling / It began to / Warp ». Dans la même série, il n’y a que ma soeur pour se souvenir encore de « Envie d’trainer avec toi / Même à rien faire, être là / J’suis jetée comme une balle / J’suis plus moi » gros succès de la fréquence royannaise en 82 déniché chez Emmaüs et signé Natali (si, si, ça s’écrivait comme ça, j’ai la pochette sous les yeux) Kaufman. I could be happy des Altered Images fait aussi partie du lot de ces disques qui sont de véritables madeleines de Proust et me renvoient directement à la radio. Et que dire du Action Man de Polyphonic Size :

« Vous pouvez changer le monde
Mais touchez pas à mon porte feuille
Vous pouvez changer le monde
Mais laissez moi dans mon fauteuil
Tout le monde veut que ça change
Mais personne ne veut bouger
Tout le monde veut que ça change
Mais pas ce soir, je vais me coucher »
qui devint, transformé par Philippe pour les besoins d’un jingle :
« Vous pouvez changer le monde
Mais touchez pas à mon transistor... »
Le refrain d’Action Man, c’était
- Choeurs féminins : « Qu’est-ce que tu vas devenir ? »
- Voix monocorde du chanteur 80’s : « Qu’est-ce que je vais devenir ? »
- « Qu’est-ce que tu vas devenir ? »
- « J’ai peur de l’avenir »
- « Qu’est-ce que tu vas devenir ? »
- « Qu’est-ce que je vais devenir ? »
- « Qu’est-ce que tu vas devenir ? »
- « Je sais plus où m’enfuir »

Prophétique, mais on n’écoutait pas vraiment les paroles à l’époque.

Jean-Luc Baraton

Janvier 2003

1- Voir le dossier Challenge 12-16
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2 - Jean-Luc se trompe, Philippe Tranchet a lui-même organisé le voyage d'une classe qui est donc bien partie aux USA.
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