Si je vous demande le nom d’une émission regorgeant d’intelligence, de vérité, de professionnalisme, de grâce, de culture, si je vous demande le nom du phare éclairant votre semaine radiophonique à la manière de mille soleils resplendissant, un cri de bête jaillit de vos poitrines : Banzaï ! Et si maintenant je vous demande à quel moment vous vous sentez partir vers les sommets vertigineux d’un plaisir jusque-là inconnu, vous me hurlez : « le reportage impossible ! ». Et comme je comprends votre enthousiasme ! Ce matin nous sommes heureux d’avoir pu, une nouvelle fois, nous surpasser, afin de vous livrer gracieusement votre ration de bonheur hebdomadaire sous forme d’interview aussi exclusive que rare, celle du Maître du monde, ou plutôt de la Maîtresse, puisqu’il s’agit de la reine de la planète, la reine bêtise.

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Nous sommes à Étronville. Avant d’aller interviewer la Bêtise, nous avons posé quelques questions sur la souveraine aux passants et aux commerçants du quartier abritant le palais. La quasi totalité des gens que nous avons interrogés ont renié leur allégeance à la couronne. Certains violemment, d’ailleurs nous en portons encore de douloureuses traces. La chose n’a pas manqué de nous surprendre, la majorité de ces personnes ayant l’apparence de sujets soumis à leur monarque. Un exemple parmi bien d’autres : après un accrochage, deux automobilistes exposent leurs points de vue à l’aide d’insultes et de coups. Voyant en eux des sujets représentatifs, nous les interrogeons sur l’admiration qu’ils lui portent. Leur seule réponse à été de se liguer contre nous pour nous frapper à bras raccourcis ! Surprenant, n’est-ce pas ?

Nous nous dirigeons maintenant vers la porte du palais, après avoir franchi les grilles d’or massif le ceinturant. Les entrées sont gardées par des militaires qui grouillent ici, paraissant évoluer comme des poissons dans l’eau. Les portes s’ouvrent devant nous, tenues par des gardes royaux aux sourires fourbes. Le chambellan nous entraîne à sa suite dans un dédale de couloirs aux murs tapissés par les portraits des plus fidèles sujets de la reine parmi lesquels nous reconnaissons des hommes et femmes politiques dont un ancien président, des chanteurs, parmi lesquels de très beaux éphèbes, des animateurs de la télévision, en grand nombre… Mais, voici que le domestique royal heurte l’huis 1, ouvre 2 et nous annonce.

La reine est juchée sur un trône serti de diamants, d’émeraudes bleues et de rubis à quinze. Derrière elle, son oriflamme représentant un bouquet de fleurs de nave dans un vase de nuit en plastique. Nous approchons de la souveraine. Qu’est-ce qu’elle est tarte ! Encore plus laide qu’en photo. Des cheveux jaunes encadrent un visage ingrat aussi ridé qu’un exemplaire de Minute tombe dans les mais d’un trotskiste coléreux. Sa bouche édentée est délicatement ourlée de lèvres rappelant les traits harmonieux des saucisses de Toulouse. Ses méchants petits yeux noirs sont emplis de la même franche sincérité qui éclaire le regard des hommes politiques en période électorale.
— Bienvenue en mon palais, jeunes gens. Alors, comme ça, vous voulez m’interviewer ?
— Avec votre permission, Majesté.
— Je vous écoute.
— Le monde entier vous connaît, mais on ignore presque tout de vous : l’étendue exacte de votre royaume, le nombre de vos sujets, le fonctionnement de votre gouvernement, etc.
— Je peux vous affirmer que la planète entière est sous ma domination. Mes sujets appartiennent à toutes les nationalités, et le Diable m’est témoin que pas un homme, pas une femme n’échappe à mon emprise.
— Répondez-moi très franchement : quelle impression procure la position de maîtresse du monde ?
— C’est un pied d’acier… 3 Mais, c’est mon bébé qui pleure ! Qu’est-ce qu’il a, mon bébé ?
— Oh ! Le charmant bambin ! Comme s’appelle-t-il ?
— Intolérance. C’est une fille, une de mes préférées.
La reine extirpe d’un berceau noir un abominable petit monstre aussi grimaçant qu’écarlate. Une mâchoire proéminente supporte de longues dents pointues. Elle se lacère le visage de ses mains aux ongles démesurément longs.
— Alors, ma petite Intolérance, qu’est-ce qui ne va pas ? Ton frère te manque ? Attends, je vais l’appeler. Racisme ! Racisme !4 Ah ! Te voici. Console ta sœur, mon petit bonhomme.5 Ils sont adorables, n’est-ce pas ?
— Ravissants.
Les abjects petits monstres se font des chatouilles à l’aide d’un fil de fer barbelé.
— Combien avez-vous d’enfants, altesse Bêtise ?
— J’ai le bonheur d’avoir engendré une nombreuse descendance. Vous connaissez Intolérance et Racisme, j’ai aussi donné naissance à Injustice, Brutalité, Égoïsme, Méchanceté et Jalousie. Malgré les apparences, j’ai la joie d’être grand-mère. Mes enfants ont été polissons entre eux, donnant naissance à Fascisme, Guerre, Viol et tant d’autres que j’oublie.
— Majesté Bêtise, la mort, vous y pensez quelques fois ?
— Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Non, jamais. Ne saviez-vous pas que j’étais éternelle ?

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Saviez-vous que l’excellence des reportages impossibles, la grande rigueur morale qui les soutient, l’originalité qui les caractérise, le professionnalisme déroutant qui leur donne naissance nous procure un public enthousiaste qui s’élargit de semaine en semaine ? On dit même que certaines vieilles bigotes l’écoutent sur leur walkman pendant la messe ! Amies batraciennes, bonjour, et à dimanche prochain pour un nouveau reportage impossible !

1, 2, 3, 4, 4, 5) bruitage (voir conducteur des bruitages)

 

François Richet

 

 

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